[p2p-research] important call for alliance between social economy and free sofware
Michel Bauwens
michelsub2004 at gmail.com
Wed Nov 25 12:21:07 CET 2009
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Economie Sociale - Logiciels Libres : le temps de
l’alliance<http://www.a-brest.net/rubrique99.html>
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Deux mondes co-existent qui dressent des remparts contre la tentation
hégémonique du capitalisme : l’un est ancien et puise ses racines dans le
XIXe siècle industriel – le monde de l’économie sociale (coopératives,
mutuelles, associations…) ; l’autre est plus jeune et tisse ses réseaux dans
le XXIe siècle informatique – le monde du logiciel libre. Si les communautés
du libre et les entreprises d’économie sociale se connaissent et se côtoient
depuis plus d’une décennie, elles ne voient pas souvent combien leurs luttes
sont proches. Le temps est venu de dire la proximité de ces luttes et
l’urgence de leur alliance.
*Raisons de l’alliance*
Depuis une vingtaine d’années des communautés d’informaticiens, puis des
entreprises informatiques, ont développé ce qu’on appelle des « logiciels
libres ». Les logiciels libres sont des logiciels que l’on peut librement
exécuter, étudier, modifier et diffuser autour de soi. Ils s’opposent aux
logiciels propriétaires dans la mesure où leur code est « ouvert » alors que
celui des logiciels propriétaire est « fermé ». L’ouverture est à la fois
technique et juridique. Sur le plan technique, les logiciels libres sont des
logiciels dont le code source est « lisible » par des êtres humains alors
que celui des logiciels propriétaires est distribué en langage machine, ce
qui le rend illisible même par les informaticiens. Sur le plan juridique,
les logiciels libres sont protégés par des « licences libres » qui assurent,
pour le dire vite, qu’ils ne pourront jamais être privatisés et resteront un
bien commun.
Les principes qui encadrent la production, la distribution et l’usage des
logiciels libres présentent d’importantes synergies avec les principes de
l’économie sociale. Il faut tout d’abord relever une synergie dans le
rapport à l’accumulation du capital entre les entreprises d’économie sociale
et les communautés du libre. Un logiciel, parce qu’il est l’accumulation du
travail des femmes et des hommes qui l’ont modelé, est un capital – un
capital immatériel. Les licences propriétaires organisent la rémunération de
ce capital immatériel : chaque fois qu’il est dupliqué et vendu, il génère
un gain sans qu’un travail supplémentaire n’ait été fourni. Dans le cas des
logiciels libres, point de rémunération du capital : seul le travail paie.
Voilà un premier trait qui place les logiciels libres tout proche des luttes
historiques de l’économie sociale.
Ensuite, les modes de production du libre respectent les piliers
fondamentaux des entreprises d’économie sociale. La liberté d’entrée et de
sortie : un homme entre librement dans une association, et en sort tout
aussi librement. Cette liberté est très présente dans la philosophie et la
pratique des logiciels libres : tout utilisateur qui le souhaite peut entrer
dans le code, l’utiliser, et en sortir librement. Le principe démocratique :
un homme = une voix. Cette liberté fondamentale du fonctionnement des
associations est à l’œuvre dans les logiciels libres : tout utilisateur du
code peut prendre part à la création ou à la modification du code. Les
communautés d’usagers des logiciels libres prennent ainsi part à leur
amélioration en indiquant aux développeurs les bugs qu’ils ont repérés. Nous
sommes ici à l’opposé des modes de production des logiciels propriétaires,
dans lesquels quelques informaticiens décident pour tous du fonctionnement
du logiciel. L’impartageabilité des réserves pour finir. Lorsqu’un ensemble
de femmes et d’hommes créent une richesse logicielle, lorsqu’ils écrivent
ensembles le code informatique puis décident de le protéger par une licence
libre, ils s’assurent que la richesse produite ne pourra être privatisée :
le code restera ouvert à tous. Personne ne pourra se l’approprier. La
richesse immatérielle placée sous licence libre ne peut que rester commune.
*Urgence de l’alliance*
L’alliance des entreprises d’économie sociale et des communautés du libre
est, au delà de la question des valeurs, une nécessité stratégique. En
effet, les logiciels propriétaires sont des chevaux de Troie de l’économie
capitaliste placés au cœur des entreprises d’économie sociale.
L’intensification de l’usage, depuis les années 1980, de la
micro-informatique – traitements de textes, tableurs, agenda, ERP, CRM – et,
depuis le milieu des années 1990, des réseaux informatiques – courriels,
sites internets, intranets, prestation de services et paiements en ligne –
ont conduit les entreprises d’économie sociale à dépendre de plus en plus
fortement des logiciels informatiques. Aujourd’hui, ces logiciels sont
majoritairement produits par des entreprises capitalistes. Ces entreprises
organisent la rémunération de leurs investissements en « fermant » le code
des logiciels, de manière à ce que (1) ceux qui veulent s’en servir soient
obligés de les acheter, et (2) ceux qui veulent lire les fichiers créés par
ces logiciels soient obligés d’acquérir les logiciels.
La dépendance des entreprises d’économie sociale à l’égard de logiciels
informatiques propriétaires est extrêmement préoccupante. Parmi tous les
sujets d’inquiétude qu’elle fait naître, je n’en développerai qu’un : la
menace qu’elle fait peser sur la pérennité des archives informatiques
entreprises d’économie sociale. Un fichier, qu’il s’agisse d’un texte, d’un
tableau, d’une image etc., est toujours enregistré sous un certain format.
Les éditeurs capitalistes des logiciels informatiques utilisent généralement
des formats « fermés », c’est-à-dire des formats dont on ne peut pas
connaître le fonctionnement. On est dès lors dépendant du logiciel de
l’éditeur pour lire ces documents. Autrement dit, toutes les archives des
entreprises d’économie sociale (agendas, comptes, notes...) accumulées sur
les supports informatiques dépendent des éditeurs pour leur lecture future.
Cette dépendance est particulièrement critique. L’éditeur peut par exemple
renoncer à développer les logiciels s’il estime qu’ils ne sont pas assez
rentables : le logiciel n’est donc plus actualisé et peut devenir
incompatible avec les systèmes d’exploitation les plus récents. L’éditeur
peut également décider d’arrêter de prendre en compte certains formats
anciens : il est alors impossible de lire les documents pour ceux qui n’ont
pas la version ancienne du logiciel. L’éditeur peut également disparaître
suite à une faillite. Dans tous ces cas, la lecture des fichiers accumulés –
donc de la mémoire des entreprises d’économie sociale – devient hautement
problématique.
La dépendance des entreprises d’économie sociale vis-à-vis des logiciels
propriétaires est un talon d’Achille trop souvent ignoré. D’autant que cette
fragilité peut aujourd’hui être écartée. Les logiciels libres sont en mesure
d’apporter aux entreprises d’économie sociale l’indépendance qui leur est
vitale. D’abord parce que le code libre est un code pérenne : il pourra
toujours être repris, retravaillé, remodelé pour coller au mieux aux besoins
des structures qui le déploient. Ensuite parce que le code libre est un code
solide : dans la mesure où il est ouvert, tous les acteurs compétents de la
communauté du libre participent à son amélioration. C’est l’assurance que
ses faiblesses sont vite repérées et renforcées.
*Enjeux de l’alliance*
Une prise de position forte en faveur des licences libres marque enfin un
engagement dans un débat beaucoup plus large. Dans un monde où les modes de
productions sont de plus en plus tournés vers les biens immatériels, les
enjeux socio-politiques liés à la propriété intellectuelle deviennent
cruciaux et ne s’arrêtent pas aux seuls logiciels. Le brevetage des génomes
des plantes et des animaux, des molécules actives des médicaments ou
l’augmentation de la durée du droit d’auteur applicable aux œuvres d’art
sont des exemples de la violence des mécanismes actuels de privatisation de
l’immatériel. La propriété intellectuelle est ainsi au cœur des luttes
présentes et futures dans des champs aussi variés que l’agriculture, la
santé ou l’art. En prenant une position claire en faveur des logiciels
libres, des licences libres et des modes de production et de diffusion des
produits de l’esprit qu’elles organisent, les entreprises d’économie sociale
investies dans le libre s’engagent dans un combat plus vaste que le seul
domaine informatique : celui de la reconquête des biens communs. Ce combat
est crucial pour l’avenir nos sociétés.
Bastien Sibille
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